vendredi 20 mars 2009

La démagogie ou l’appât des Valkyries



A l’approche des élections législatives libanaises, les hommes politiques reprennent de plus belle les discours bouillonnants dans un but qui émane du nombrilisme, qui est de faire émerger chez leurs sympathisants l’instinct défensif contre l’autre-ennemi. Il est certain qu’ils ont tous comme livre de chevet La Notion de Politique de Carl Schmitt. Et pour mener à bien la besogne, quoi de plus efficace que la démagogie.

Les grands sophistes de la Grèce antique, Antifon, Gorgias, Protagoras qui étaient maîtres dans l’art de parler pour ne rien dire, se sont réincarnés derrière des légions de microphones arc-en-ciel pour sonner le cor.

Les sophistes utilisaient le discours non pas du tout comme moyen laborieux pour parvenir à la vérité, ils s’en moquaient royalement, mais ils l’utilisaient pour produire des effets de persuasion sur les gens, comme une forme de poésie, quelque chose qui emporte l’adhésion, et non comme quelque chose qui argumente et qui démontre. Et quand un grand sophiste racontait par exemple le mythe de Prométhée en se pavanant et en se plastronnant devant un public emporté par lui, saisit par la force d’un discours magnifique et merveilleux, Socrate qui faisait exprès d’arriver en retard demandait à ce sophiste pavoisé de résumer ce qu’il venait de dire.
Evidement, c’est comme si on demandait de résumer Le Dormeur du Val de Rimbaud ou Green de Verlaine. Et dès que ce sophiste se laissait prendre au jeu de Socrate, il se trouvait dans la mauvaise conscience, il se sentait coupable car au fond il n’avait rien dit.

Et si on jouait au jeu de Socrate avec les grands ténors de notre scène politique, se sentiraient-ils coupables ?

Coupables d’avoir injecté dans les têtes des libanais que l’homme est un loup pour l’homme ; que celui qui pense différemment est un ennemi juré qu’il faudrait éliminer préventivement ; que chacune et chacun devrait racheter les crimes de ses ancêtres ; que la loi de la jungle est le plus beau chef-d’œuvre de la Pensée humaine ; que leur personne est une hiérophanie bénie par les cieux et gardée par les Séraphins, la critiquer serait une avanie, et la glorifier serait une source de grâces ; que les facultés universitaires sont des champs de bataille dignes de Waterloo et de Verdun dirigés par des généraux qui ne se rendent jamais même à l’évidence, que leurs programmes abouliques feront couler le lait et le miel.

Coupables des victimes de la politique de l’art pour l’art; des victimes touchées par les balles d’allégresse et d’hystérie suite à leur apparition à la télévision ; des victimes attaquées à cause d’un drapeau levé ou d’une icône colée ; victimes pour avoir appelé Dieu d’un nom différent, victimes du hasard, victimes de l’intériorisation et de la banalisation de la mise à mort…

Charles Péguy avait dit que : « le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ». Par le fait, toute accalmie passagère n’empêche pas les Valkyries de roder dans nos ruelles qui dégagent toujours des odeurs macabres et moribondes.

Marwan HARB